Chapitre 1 - L'Enfer

La route aura été longue et ennuyeuse. Mais enfin la destination se dessine dans cette nuit sombre éclairée de l'éclat de la lune jaune pâle et des étoiles timides. Au loin se profile une grande bâtisse noire. La grande distance et l'obscurité de la nuit ne permettent pas d'en savoir plus. Il faudra encore marcher pour en voir davantage.


Un éclat. Bref, certes, mais suffisant pour rester marqué dans ses rétines. Une lame, sans aucun doute. Il se met aussitôt sur ses gardes, tirant les siennes doucement, sans faire de bruits. La nuit lui paraît être un lourd manteau l'engluant, ralentissant ses mouvements. La panique monte doucement en lui. Le silence se fait pesant. Les animaux semblent s'être tus. Et il se fait alors la remarque qu'il n'entend plus un bruit depuis bien longtemps maintenant...

Un déplacement d'air. Juste devant. Maintenant sur sa gauche. Il se retourne et aperçoit une crinière de feu. Il se demande alors quelle peut être cette créature : une manticore ? Ou bien encore un démon ? Seul l'instinct est œil éclairé dans ce type de situation. Il est alors capable de suivre les mouvements de cette bête tournant autour de lui. Heureusement pour lui, son instinct est plus développé que le reste du genre humain. Autrement, il serait probablement perdu depuis fort long...

L'inaction le pèse. Alors qu'il fomente une embuscade, une voix éclate dans cette bulle d'encre et de silence. Une voix qui le dérange. Dans un premier temps, il n'entend que le son derrière les mots. Une voix jeune, celle d'une enfant. Mais avec quelque chose de mature, une conviction absolue. Puis dans un second temps, il entend les mots :

« N'aie crainte Prêtre malade, je ne suis que ton guide. Allons-y. »

Il n'aime pas ça. On l'a envoyé en mission au fin fond du trou du cul du monde. Seul. Jamais on ne lui a dit qu'un agent local se joindrait à lui. De ses doutes s’échafaudent des théories : et si cette petite fille n'était pas celle qu'elle disait être ?

Le visage de la lune éclaire ses sujets, alors qu'elle laisse tomber momentanément le masque de ses nuages noirs. Le guide perd alors son déguisement de ténèbres et laisse transparaître une silhouette pour le moins étonnante. Celle d'une petite fille aux longs cheveux rouge bouclés. Sa peau est très blanche et contraste énormément avec son armure travaillée d'un noir de jais. Les formes semblent couvrir naturellement les courbes de son corps pré pubère. Comme les vagues d'une mer gelée et contaminée de roches noires. L'éclat qu'il avait alors vu n'était autre qu'une épée à la lame recourbée, qui disparaissait alors dans les ténèbres derrière un petit bouclier de forme sphérique.


Des questions se bousculaient dans sa tête. Quelle était son identité ? Que faisait-elle ici ? Doutait-on de ses capacités ? Il allait formuler ses questions à vive voix lorsque des hurlements se firent entendre. Il regarda alors la guide aux cheveux de feu et, d'un mouvement de tête, se décidèrent à aller au devant du danger.

La lune éclaira un terrain de roches accidentées. Une mer de gris immobile. Sur ce terrain se rassemble des créatures. Elles sont courbées. Leurs yeux sont pleins de malice, et leur langue pend luisante. Leurs côtes ont percées leur chair, et leurs vertèbres forment une défense sur leur dos. Leur peau est nécrosé et leur faim immense.

Il les reconnaît. Santa Monica les appelle des Goules. Il en a déjà affronté et sait qu'elles sont plutôt rapides, insensibles à la peur et à la douleur. De vrais saletés.

Côte à côté, lui et elle se fraient un chemin à travers les saletés. Les épées tranchent les membres malades. Leur constitution est faible. Mou. Friable. Des saletés faciles à exterminer mais toujours lâchées en légion. La puissance par le nombre.

Enfin ils arrivent, ils soufflent beaucoup et s'arrêtent. Une arche se tient entre eux et la bâtisse qui est leur destination. Impossible de contourner l'arche car de part et d'autre serpente une muraille de pierre noire surmontée de barreaux de fer, hérissés de pics.


Tout en haut de cette arche se trouve pendue une créature. Une espèce de corps fripé, d'une maigreur effroyable. Il tient un énorme grimoire dans ses mains, lu par des yeux à demi dissimulé derrière ce qui semble être un masque. Une parodie d'un crâne humain, défigurée par la patte folle d'un artiste nécromant. Cousue sur la chair de grès. Des sortes d'appendices lui sortant du dos lui permet de rester accroché à une ceinture de pierre, tout en ayant la possibilité d'user de ses bras pour tenir et tourner les pages.

Il n'y a pas de portes fermées à ouvrir, pas de trous béants dans le sol à couvrir. Pourtant, ils ne peuvent avancer plus loin. La chose pendue au-dessus d'eux les en empêche. Ils se rapprochent alors prudemment, un œil sur le gardien de l'arche, un autre analysant en zigzag les environs.

« Bienvenue en Enfer Alexander Lang. Ta présence était attendue. »

Son doigt semble pointer son nom écrit dans son grimoire. Le gardien reprend alors la parole :

« Alexander Lang. A quitté la ferme familiale à l'âge de 19 ans en quête d'aventures. A 20 ans, se fait recruter par Santa Monica. 3 ans de formation plus tard, le fermier naïf devient prêtre débutant. Après neuf années de chasses, de rapports et de réussites : le prêtre Alexander disparaît une année entière. A son retour, il reprend ses chasses, ses exorcismes musclés et ses missions d'exploration. 35 ans, le prêtre Alexander Lang se présente devant le gardien de l'Enfer. »

Une main sur la garde de son épée, Alexander demande d'un ton atone :

« Qui es-tu pour me parler ainsi ? »

« Je suis le gardien de l'Enfer : Hadès. »

Alexander pose la main sur son front. Une douleur bat à ses tympans. Il est énervé, impatient, affamé et ne comprend rien à la situation actuelle.

« Je vois que tu te poses beaucoup de questions, Alexander. Peut-être souhaites-tu que je t'apporte des réponses ? »


Le prêtre relève la tête. Ses yeux sont petits, fins et dissimulés dans les ombres de son chapeau à larges bords. Il n'y a plus de naïveté dans son regard. La vie l'a balayé.

« Ce ne serait pas de refus. »

L'attention du gardien est toujours concentré dans les pages gribouillées de son grimoire. Ses yeux vont de gauche à droite. Alexander ayant la désagréable impression d'être disséqué vivant. Les mains osseuses de cette aberration pendue écartant la chair et les os de sa poitrine pour observer sans pudeur tous les petits secrets et l'histoire de sa vie.


« Je peux t'apporter des réponses, mais pour cela, il me faut une question. »

Alexander tourna la tête, il n'arrivait pas à expliquer la quantité de cadavres jonchant les environs. Il y en avait autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la muraille. Il pouvait certes compté les goules qu'il avait occis . Mais cela n'expliquait pas tout. Il voulut observer un peu plus attentivement l'état des macchabées. Peut-être découvrir le mode opératoire, ce qui lui permettrait de remonter jusqu'au tueur. Au lieu de cela, il découvrit que son guide n'était plus.

« Où est-elle passée ? A-t-elle ses autorisations pour pénétrer dans l'Enfer ? »

« Personne n'a passé cette arche depuis bien des jours. Et bien plus encore un être de sexe féminin. »

« Ne te fous pas de moi. Elle était à mes côtés lorsque je suis arrivé. »

« Je te le dis Alexander, personne n'est entré depuis des journées. Je note tous les allers-retour dans mon grimoire. Je ne peux bien entendu t'en montrer le contenu, mais la vérité est écrit dans ces lignes. »

Alexander se retourna et fit quelques pas en arrière. Il se disait qu'avec un peu de recul, il pourrait découvrir sa trace à elle. Mais rien n'y fit. Le territoire n'était qu'un grand désert de pierre sans aspérités. Il n'y avait aucun moyen de se cacher à l'extérieur de la muraille. Il respira et se calma. Il sourit et usa de logique. Si elle n'était pas à l'extérieure, elle était à l'intérieure. Ce ne serait pas la première fois que Santa Monica se jouerait de lui. Ce devait être une nouvelle épreuve, rien de plus.

« Alexander, puisque tu ne sembles avoir aucune question, permets-moi de te faire passer un test. »


Il avait donc raison. Il y allait avoir encore des épreuves, des tests et des tâches à n'en plus finir. Rassuré, il écouta le gardien des Enfers avec un léger sourire d'excitation. Ses quarante derniers jours de marche n'avaient été qu'ennuis. Il était temps de se déchaîner !

« Puisque tu ne sembles pas vouloir te retirer, Alexander, j'inscris ton nom dans mon registre des morts. Tu vas avoir ainsi le privilège de goûter au repos de la Faucheuse bien avant l'écoulement final du sable des temps de ta vie. »

« Arrête tes conneries gardien. Je suis de la maison. Je ne marche pas à la mise en situation. »

« Bien. Comme tu le souhaites. Passons donc désormais au test dès maintenant. »

Il referma violemment son grimoire et, de sa main libre, siffla. Alors, le sol trembla. Des grognements se firent entendre de derrière la muraille. Quelque chose s'éveillait. Quelque chose de vivant et d'immense. A ce moment, la lune reposa son masque de nuages noirs sur l'arête de son nez devant son fade visage, et priva ses enfants de sa faible lumière. L'énorme chien apparut donc dans les ténèbres. Ses pupilles jaune, dilatées et explosées par de petites veines rouge. Une gueule immense garnie de crocs dégoulinant de bave.

« Gardien, tu déconnes là ?!! »

« Non pas. Alexander, je te présente Cerbère. »

Le chien géant hurla à la lune absente.

« Cerbère, voici Alexander Lang. »

Cerbère mesurait plus de dix mètres de hauteur. Après quelques pas fait dans la direction des deux êtres, la bête monstrueuse fut stoppée. D'immenses chaînes la retenaient, lui assurant juste assez de marge de manœuvre pour se dissimuler derrière les murailles et assurer la protection de l'arche.


Un énorme chien bicéphale aux mâchoires énormes dégageant des relents âcres. La situation se révélait mauvaise. Alexander devait réagir. Sortir de ce halo de lumière spectrale qui ne semblait pointer que lui. Alors qu'il se préparait à son assaut, peut-être son dernier se dit-il, il fut victime d'une hallucination. Il se trouvait désormais devant le gardien, devant ses yeux. Ces derniers lui paraissaient énormes, prendre de plus en plus de surface. Il cru même que les yeux allaient l'avaler. Ce qui était d'autant plus bizarre qu'Alexander se savait bien loin du gardien. Un paradoxe vivant. Les yeux rouges du gardien l'observaient, l'hypnotisaient. Lorsqu'il trouva la force de regarder ailleurs, il se rendit compte qu'il n'avait pas bougé de place, qu'il n'y avait pas de Cerbère et qu'il n'était pas plus illuminé par la lumière que cela.

« Tout cela n'a-t-il été qu'une illusion, gardien ? »

Le gardien semblait s'être endormi. Impossible pour Alexander, de sa position, de voir si ses yeux étaient encore ouverts. Un gardien endormi, un chien monstrueux de dix mètres inexistants, Alexander décida de continuer sa route.

Plus il approchait de la bâtisse, plus les bruits s'amplifiaient. Des hommes condamnés à la torture à priori. Des cris de bêtes également. Des rires sadiques aussi. La parfaite antichambre de l'Enfer en somme. Une mise en bouche pour instruire l'esprit de son invité, avant de le catapulter dans le thème de la soirée, du gravier plein la culotte.

Il continua sa route vers la bâtisse. Une grande place où jonche des colonnes telles des os d'un animal si ancien que sa structure osseuse se serait dispersée sous le gré des vents et autres phénomènes naturels. Chaque colonne était une lance perdue d'un soldat mort parmi tant d'autres, mort en vain pour échouer sans gloire... Le sol terreux, à la limite du poussiéreux : il était facile d'imaginer qu'à un moment trop proche la terre tremblerait pour finalement céder.


Une goule, tapie dans l'obscurité d'une colonne, se jeta sur Alexander. Il l'attrapa alors par la rare tignasse de cheveux et l’envoyât valser en se servant de la vitesse de la créature. Cette goule d'une constitution faible y perd sa tête. Elle reste dans la main d'Alexander. La créature se relève pourtant, titube, cherche son chemin. Il sort alors le Pandore. Un revolver dotée d'un long canon et d'un barillet annexe d'une capacité pouvant accueillir trois balles explosives. Il braque la créature, charge une simple balle, arme le chien et appuie sur la détente. Le cœur de la goule est transpercée et la créature s'affaisse alors.

La situation était préoccupante. Derrière chaque obstacle, à l'intérieur de chaque ombre pouvait se cacher un ennemi ou un piège. L'avancée était donc peu rapide. Il fallait tout surveiller, tout le temps. Les goules à l'extérieure de la muraille étaient probablement un moyen de défense. La faim qui les tenaillaient amoindrissaient leurs capacités cérébrales, les faisaient se jeter sur les curieux et les aventuriers. Alexander ne voyait qu'une conclusion à ces faits : le lieu n'était pas qu'un château reculé dont il fallait éliminer la vermine. Cette bâtisse haute et construite comme un château fort dissimulait des secrets et des trésors.

Dans ce cas : quelle était alors la véritable mission ?

Enfin il se trouva devant la porte de la bâtisse abandonnée de tout et de toute vie à des dizaines et des dizaines de kilomètre aux environs. Il a d'abord l'idée d'ouvrir prudemment la porte, pénétrer silencieusement, assassiner par derrière. Puis il se dit qu'il y a peut-être d'autres goules en embuscade. Il frappe alors violemment la porte de sa jambe droite et jaillit à l'intérieur de la pièce. Il braque son Pandore dans tous les coins et découvre, un peu avec stupidité, qu'il vient de provoquer tant de bruits pour rien. Rassuré, il avale alors une longue et délicieuse bouffée d'oxygène.


Une grande salle. Un plafond se perdant dans les hauteurs. Des piliers travaillés soutenant toute l'architecture. Deux grands escaliers se rejoignant plus haut, dans une symétrie parfaite. Un sol dallé et brisé par endroits. Des toiles d'araignées courant d'un bout à l'autre des murs. Des débris un peu partout. Des empreintes dans la poussière. Beaucoup de choses traversent cette salle. Dans tous les sens et n'importe comment.

Alexander se dit qu'il trouvera des réponses dans les étages supérieurs. C'est toujours dans les plus hautes salles que se cachent les hommes et les femmes possédant le plus de responsabilités. Il entreprend alors la montée de l'escalier de gauche, la main toujours posée sur la garde de son épée. Sur un palier intermédiaire entre le rez-de-chaussée et le premier étage, il trouva une carte de la bâtisse. Ses yeux virent des salles telles que : prison, salle d'entraînement, salle d'expérimentation, dortoir, bureaux, etc. Mais ce qui le frappa le plus était la configuration des lieux. Tous menaient à un point central. Le doigt d'Alexander glissa sur le verre jauni et fissuré et lut l'inscription : Styx. L'escalier qui menait dans les bas étages de l'Enfer.

Il redescendit les marches et chercha le Styx, cette salle qui le conduirait, il l'espérait, à la vermine et à la fin de sa mission. Il la trouva, et la découvrit dans le même état de délabrement que les autres pièces.  Murs soutenus par des demi-arches, piliers soutenant la façade imposante. Sol dallé. Couleurs et atmosphère grise et terne. Nombreuses toiles d'araignées sur les pierres usées et fatiguées du travail de Sisyphe. Au fond à gauche, derrière un morceau de mur, se trouvait un escalier pénétrant à même les entrailles de la terre. Naturellement, la suite de son voyage était en cet endroit.

Le noir absolu. La perte d'un sens : la vue. Effrayant et pourtant si jouissif. Il renoue avec la matière originelle. Il réapprend à savourer la douce mélodie du silence, à sentir les effluves de ce qui cause tant de peurs aux couards. Il ressent tout cela et y prend beaucoup de plaisir. Il ne faut pas redouter les ténèbres, -un sourire laisse apparaître des canines taillées en pointe- elles sont des amies.


Soudain, la rêverie cesse. Des cris retentissent. Des hurlements à s'en déchirer les cordes vocales. Une partie de l'esprit d'Alexander souhaite encore profiter de ce songe morbide et délicieux. De cette union aux ténèbres. Son sens de l'orientation est détraqué. Il en vient même à se demander s'il monte ou s'il descend les marches. Le noir absolu lui donne l'impression de marche sur une mer d'huile dont son horizon se marierait parfaitement avec la nuit noire sans lune.

Il veut se donner une claque pour se réveiller mais ne trouve pas le chemin de son visage. Pire, il a l'impression de perdre l'équilibre. Comme s'il se trouvait sur un fil d'équilibriste, celui d'Ariane, au-dessus des abysses profondes.

Puis soudain, la lumière l'éblouit. Un jaune orangé intense. Les pupilles se dilatent, se développent, s'habituent. Une caverne immense. Du magma en fusion. Des chaleurs infernales. Des conditions épouvantables. C'est alors qu'un vieillard se jette du haut d'un corniche en criant. L'homme est armé de pierres et habillé de haillons. Sa peau est craquelée par endroits, et couvertes de cloques de l'autre. Son corps couverts de cicatrices. Pour certains encore dégoulinantes de sang. Un homme qui a vécu. Un homme qui a souffert. Un homme qui n'en peut plus. Il hurle. Pour se donner du courage. Il ne pourrait résister à ce qui lui arrive autrement, il ne pourrait affronter ce qui ne peut l'être. La créature le regarde. Elle semble s'ennuyer. Elle mesure plusieurs mètres de hauteur. Mais Alexander comprend qu'elle réfléchit différemment. Comme un être humain regardant une fourmi. Alors, de sa taille ridiculement gigantesque, elle fauche le corps dans les airs. D'un seul mouvement. D'une claque molle et lourde.


Des rires s'élèvent alors. Proche de lui. Trois êtres enveloppés de plusieurs couches de tissus fumants et de cuir brûlé. Un premier a ses bras à découverts, une peau étonnamment douce, lisse et parcourue de tatouages.

« Vous étiez le prêtre Jacques de Fontenoeroy, n'est-ce pas ? »

Alexander s'avance vers le trio, détournant le regard d'un autre vieillard s'élançant du piton rocheux.

« Je suis ravi que mon nom ne se soit pas encore perdu. » répond-il d'un sourire satisfait.

« Je me souviens de la foule vous pourchassant à travers les rues, vous lynchant pour avoir découvert votre trafic de jeunes vierges. Je pensais qu'il vous avait eu. »

Il s'arrête à peu de mètres de l'homme tatoué et conclut en disant, un rictus aux lèvres :

« J'aurais aimé que cela soit le cas. »

Le deuxième, au torse imposant, est munie de deux bracelets d'or aux poignets. Ses bras sont recouverts d'une brassière de lanières de cuir noir, tandis que son corps se perd entre des bouts de chiffons déchirés et de morceaux d'armure.

« Vous, vous étiez le chevalier Eric Roi-de-pic. Impressionnant palmarès de bataille. Effroyable comportement dans la vie publique. Un chien de guerre qui déchiquetait sans cesse son masque-baillon et arrachait à chaque fois ses chaînes. »

« Malotru ! Fais attention à qui tu t'adresses. Je pourrais en finir avec toi dès maintenant. »

Les deux hommes se regardèrent avec intensité. Si l'un ou l'autre faisait le moindre geste considéré comme déplacé, agressif ou dédaigneux, ils se jetteraient l'un sur l'autre tels deux molosses en rage.

« Il suffit Eric. »

Le troisième homme prit la parole. Alexander l'avait oublié. Malgré une grosse corpulence, et un ensemble de vêtements masquant son corps dans l'intégralité, il ne faisait aucuns bruits.

« Nous t'attendions prêtre malade Alexander. Nous t'attentions avec grande impatience... »

Il y avait quelque chose dans la voix de cet homme. Quelque chose de brisé. Quelque chose de non-naturel. Une suffisance et une arrogance de roi qu'il avait grand peine à dissimuler.

« Je me nomme Erebus et je surveillerais de loin tes agissements. »

Il tendit son bras en direction du chevalier Eric.

« Cet homme sera ton supérieur tout le temps de ton séjour parmi nous. Tu l'écouteras et affronteras tout ce qu'il te commandera. Que ce soit ta femme, la Faucheuse, des pierres ou même un clone de toi-même. »

Alexander n'avait pas de femmes. Il ne connaissait aucune créature nommée Faucheuse. Taper des pierres pour des pierres étaient inutiles sauf s'il voulait briser les os de ses mains. Quant à un clone, cela paraissait être un adversaire de boucherie onirique.

« Je te sens confus par mes propos, prêtre malade Alexander. Entrevois-tu un problème ? Analyses-tu déjà tout ce que je dis pour discerner les meilleurs schémas de batailles, et les armes appropriés à chaque ennemi ? »

« ... »

« N'aie crainte, prêtre malade Alexander. Aujourd'hui, tu as longuement marché et l'après-midi touche à sa fin. Tu n'affronteras rien ni personne. Considères cela comme une journée de repos. »

Comprenant que la conversation ne déboucherait sur rien, Alexander tourna son attention sur l'espèce de créature gigantesque qui baignait dans un bain de magma. Cette même créature qui avait haché menu le vieillard sautant dans le vide.

« Le Béhémoth. »

« Pardon ? »

Alexander se retourna vers l'ancien prêtre Jacques de Fontenoeroy.

« Cette créature est appelée le Béhémoth. Si tu veux, c'est une sorte de vaccin. Toutes les aberrations ratées, incontrôlables ou contagieuses sont éliminées par ce virus gargantuesque. Une créature divine, assurément ! »

Alexander pouvait presque voir les étoiles dans les yeux de l'ancien commerçant de vierges. Une adoration fanatique et un éclat de folie religieuse.

« Suis-moi, je t'emmène dans ta cellule. »

Alexander s'était réveillé et s'était demandé où il se trouvait. Lors de son dernier réveil, ses yeux s'étaient perdus dans un ciel mourant, perdant ses étoiles, laissant place aux couleurs de feu d'un astre solaire se levant. En cet instant, son regard s'était écrasé contre le mur de sa cellule. Une pièce où son âme se reposait en Enfer.

C'était une cellule de prison sans murs aucuns. Les quatre côtés étaient constituées de barreaux de fer tordus. La fermeture se faisait par un système de chaînes et de cadenas qu'Alexander fermait de l'intérieur. Car le danger rôdait en chaque recoin de l'Enfer. Des aberrations errantes, des chasseurs hostiles, des âmes damnées. Le danger avait mille visages.

« Bien dormi ? »

Alexander pivota sur lui-même, dégainant dans la même foulée le Pandore de son holster.


« Tu n'es pas du matin, toi, n'est-ce pas ? Ah ah ah !!! »

Eric Roi-de-pic, les bras énormes croisés sur sa poitrine, rigolait de lui. Alexander se calma, rangea son revolver, ceintura le fourreau de ses sabres, passa ses bras dans les manches de son manteau et posa enfin son chapeau à large bords sur sa tête.

« La demoiselle a terminé de se pomponner ? Les filles vont enfin pouvoir aller faire du shopping ? »

Avec Eric à ses côtés, Alexander commença à visiter les divers Cercles de l'Enfer. Il se trouvait actuellement dans le premier, celui juste en-dessous le rez-de-chaussée de la bâtisse qu'il avait vu au loin, alors qu'il rencontrait ce petit bout de femme aux longs cheveux de feu. Le premier Cercle était une suite de salles et de couloirs déserts. Il n'y avait aucun mobilier, tout n'était que construction en barreaux tordus, chaînes et cadenas. Il y avait énormément de cellules mais également une salle d'entraînement. Alexander la traversa, vit qu'il y avait des personnes, les observa avec l’œil du chasseur et ne vit personne qui méritait une attention particulière.

Alexander traversa la salle et commença à réfléchir. Notamment sur sa présence ici, sa fonction. Il ne cessait de se répéter la mission qu'on lui avait assigné « éliminer la vermine du château ». Le château était cette bâtisse sombre gardé par Hadès, son gardien. Il en était certain. Mais qu'est-ce qu'était cette « vermine » ? Alexander croyait naïvement qu'il arriverait dans un château à l'abandon, peut-être squatté par de jeunes esprits rebelles, armés de battes cloutées, de chaînes et de braseros. Ou alors, un château où ripaillaient diverses aberrations telles que les Goules. Au lieu de cela, il se retrouvait dans une espèce de ville oubliée et underground. Un dépotoir de ce qui ne fonctionnait pas sur le continent européen. Une espèce de camp d'entraînement version hardcore. Alexander ne comprenait pas, ses doigts frottant ses tempes. Une nouvelle fois. Il avait de plus en plus de difficulté à se réveiller dernièrement. Les maux de tête de plus en plus fort. Il avait même encore des images gravées sur sa rétine. Mais à chaque fois qu'il commençait à porter son attention dessus, le contenu s'étiolait... Cela l'énervait.

« Yo ! T'es qui toi ? »

Alexander s'arrêta. Le visage impassible. La peau blanche et froide.

« T'es du genre chasseur silencieux ? Parce que t'es forcément un chasseur, hein ! »

Les mâchoires se contractèrent. Alexander n'aimait pas la situation dans laquelle il se trouvait. Quarante journées de marche pour une mission si abstraite. Il était un bon soldat, un bon prêtre. Mais il n'aimait pas les prises de responsabilités et les objectifs trop flous.

« T'as genre un bâton dans le cul ou quoi ? Oh, man ! Tu comptes resté droit toute la journée comme ça, ou quoi ? »

Sa main glissa lentement vers la garde de son épée. Alors qu'il se préparait à plonger et éliminer cet idiot qui se manifestait au mauvais moment, alors qu'une migraine lui vrillait le crâne, un bras énorme se posa sur sa poitrine.

« Illias, dégage d'ici. Va trouver un protecteur ailleurs. »

« Outch... C'est pas fair-play ça, man. Pas fair-play du tout... »

« Illias ! Va faire ton parasite, ailleurs ! J'abhorre les faibles de ton genre. »

Il y avait de la fiel dans ses mots. Il y avait des tremblements de maîtrise difficile dans ce bras qui retenait Alexander. Mais la réalité était autre pour ce dernier. Il ne percevait la scène que par bribes, lorsque la douleur et les flashs lumineux s'en allaient avant de revenir.

« On ne tirera rien de toi aujourd'hui. Retournes dans ta cellule, enfermes-toi et reposes-toi. Je repasserais demain. »

Eric Roi-de-pic ne paraissait pas totalement mécontent. Pourtant, tout ce qu'il avait pu apprendre, était qu'Alexander était malade. Cette pensée traversa l'esprit d'Alexander et il se demanda ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant dans la douleur, les flashs lumineux et les maux de tête. Il ne trouva aucune réponse. Il était épuisé. La main posée par terre comme appui, il se laissa choir sur la pierre escarpé que constituait le sol. Il n'y avait pas de lit dans la cellule. Il n'y avait rien pour être exact. Si ce n'était un trou qui amenait à une fosse nauséabonde pour les besoins naturels.

La troisième journée commença dans le bruit. Alexander fut tiré de son sommeil par un rythme endiablé joué sur les barreaux de sa cellule.

« Allez man, on se réveille ! »

Alexander se redressa et chercha de suite ses armes.

« Sérieux, tu veux encore me transpercer de ton épée ? »

Les yeux à moitié ouverts, Alexander se dit qu'il dormait peut-être encore. Ses sourcils se froncèrent, signes visibles d'incompréhension et de réflexion difficile. Son organisme différa finalement les actions. Alexander posa le Pandore à portée de sa main, tandis qu'il posait sa joue contre la pierre escarpée du sol de sa cellule.

« Putain j'le crois pas. Le mec me transperce la journée d'avant, il part avec son pote le costaud genre, j'ai-rien-fait-c'est-pas-moi, et là il m'ignore. Il retourne au lit. »

Il se saisit du Pandore. Un revolver modifié auquel on avait ajouté un barillet annexe pouvant contenir trois cartouches explosives. Alexander le pointa vers la source indésirable et-

« Wo-oh-oh, man, arrête. Ça va faire un mal de chien et va encore falloir que je me traîne dans un endroit calme pour ressusciter. Si tu savais à quel point c'est douloureux de mourir, tu- »

« Qu'as-tu dis ? »

Alexander se releva, pointant toujours du Pandore l'homme noir du nom d'Illias.

« Je suis ce que Santa Monica appelle un Zombie. Mes organes ont été remplacées par d'autres modifiées. Si tu veux, je suis victime d'un cycle de jeunesse/vieillesse. Tu comprends ? Non, bon, attends. Euh, ouais, c'est ça. Donc, si tu veux, mes organes vieillissent. Normal jusque là mais, lorsqu'ils ressentent qu'ils deviennent faibles, ils enclenchent un processus de rajeunissement. Ils appellent le « Protocole Phoenix ». »

« ... »

« J'suis une espèce d'immortel, si tu veux, man. »

Alexander finit par ranger son arme et enfila sa veste. Il tira de sa poche un jeu de clé et fit tomber les chaînes. Il sortit sous le regard inquiet et interrogatif d'Illias. Il se rapprocha de lui. Encore. Jusqu'à être à dans le périmètre intime de l'homme noir. Ainsi, il se sentait directement menacé.

« Ma mission est d'éliminer la vermine du château. Peux-tu m'aider ? »

« Euh, ouais. Pas de problème, man. »

Alexander observait Illias. Ce dernier transpirait. Il n'arrêtait pas d'ouvrir et de fermer ses mains. L'homme était nerveux. Le prêtre observa ses alentours, à la recherche d'un danger potentiel. L'espace de quelques minutes, il avait oublié qu'il se trouvait en Enfer. Un lieu extrêmement dangereux mais étonnamment vide jusqu'à présent...


« Qu'est-ce qu'on attend ? Conduis-moi à la vermine. »

« Si c'est cela que tu recherches Alexander, elle se trouve devant ton nez. »

Alexander se retourna pour faire face au nouvel arrivant. Ce n'était autre qu'Eric Roi-de-pic, l'ancien chevalier aux mœurs violentes.

« Illias ? »

« Euh, o-ouais ? »

« Dégage, bordel !!! »

L'homme noir s'en alla sans demander son reste. Les sourcils d'Alexander se froncèrent tandis qu'il le voyait disparaître dans le coude d'un couloir faits de pierres, de plaques d'acier et de chaînes pendantes.

« Qui est ce Zombie ? »

« Zombie ? Ah ah ! Ce parasite essaie de se donner une histoire et une importance qu'il n'a pas. C'est un miracle qu'il soit encore en vie, tu sais. D'ailleurs, c'est la seule chose que je respecte dans ce parasite : cet instinct de survie développé à son extrême. »

Eric invita Alexander à le suivre. Ils traversèrent à nouveau les couloirs et les pièces qu'ils avaient déjà traversés la première journée. Cette fois-ci, Alexander était en forme et personne ne les interrompit. Eric lui fit d'ailleurs remarquer et s'exclama que la journée serait fantastique ! Alexander sourit. Il retrouvait en cet homme, le formidable leader, le chevalier efficace et amical. Lorsqu'il était en mission, Eric était un partenaire idéal. Alexander craignait juste le moment où les instincts belliqueux, le langage de porc et les manies dégoûtantes reviendraient...

« Quel est le plan d'action ? »

« Nous allons nous rendre au Second Cercle. Là-bas se trouve plusieurs zones, disons, intéressantes. »

« Quel type ? »

« Tu es trop pointilleux, Alexander. Je sais ce qu'est une bonne préparation avant une mission. Cela permet d'agir avec professionnalisme, efficacité et charisme. Mais si les hommes qui se trouvent tout en haut de la hiérarchie t'ont envoyés ici, c'est qu'ils souhaitent que tu t'améliores. Pour cela, rien de mieux qu'un instinct sur-développer. Tu apprendras à l'écouter comme une catin en manque. Tu saura l'entendre comme un rat dans les ténèbres des égouts. Tu apprendras à vivre avec comme on vit avec la même femme le temps d'une longue et unique vie. »

Les deux hommes descendirent un escalier taillé dans le flanc d'une montagne. Sur leur droite se trouvait le flanc de la-dite montagne. Elle était poisseuse. Comme couvertes de sueur et de peur. Sur leur côté gauche se trouvait le vide noir et infini. Ils débouchèrent ensuite sur une caverne. Cette dernière était éclairée par endroits de braseros. Des ombres s'entrecroisaient de toutes sortes, provenant de la multitude de stalactites et de stalagmites couplée à la lumière vacillante.


Alexander plissa les yeux et observa chaque obstacle, à la recherche du moindre danger. Ses mains s'étant déjà rapprochés de ses armes. Tandis que son allure s'était suffisamment ralenti pour avoir le corps massif du chevalier comme bouclier organique.

« Alexander, tu peux marcher et respirer normalement. N'épuises pas tes muscles en paniquant pour rien. Tu sais, c'est important d'écouter son corps. Il faut que tu le visualises comme un tout. Il faut que tu te représentes chacun de tes muscles comme un foyer. Il faut que tu agisses comme un roi sur son royaume. »

Alexander découvrait là une passion nécessaire et plus qu'utile au métier de chevalier d'Eric. Cet homme devait connaître l'anatomie parfaite du corps humain. Chaque muscle. La façon dont il était relié à un autre, la façon dont il était alimenté, les différentes moyens de le sustenter, de l'alimenter et de le booster aux moments voulus. Alexander se dit alors que si Eric était connu pour son extrême violence en dehors de ses missions, c'était pour observer et analyser la mécanique organique du corps humain. Ses accès de rage, ses étranges manies de dépecer les corps de ses victimes dans des endroits abandonnés... Tout cela formait un tout cohérent.

« A quoi penses-tu Alexander. »

« Une nouvelle façon d'observer. »

Le chevalier se retourna, s'arrêta, releva un sourcil. Il observa quelques instants le visage sérieux du prêtre et reprit sa progression un sourire sur le visage. Les deux hommes franchirent une paroi dans la caverne, traversèrent un couloir et entendirent du bruit. Le chevalier ne s'arrêta pas et ne donna pas plus d'explications. Alexander ne demanda rien mais se remit sur ses gardes. Il avait beau trouvé la présence de ce supérieur sympathique et rassurante, il n'en demeurait pas moins qu'il savait que ce dernier allait le projeter dans des épreuves périlleuses.

« Le Deuxième Cercle de l'Enfer. Là où grouillent les parasites sans distinctions aucunes. »

Ce qu'observait désormais Alexander était une espèce de bidonville animé bien loin en-dessous de la surface de la terre. Les constructions étaient faites de tôles ondulées, de bric à brac, de chaînes et de lampions parsemées ici et là.

« Ici vivent et survivent des citoyens punis par les Lois, des prisonniers dangereux et des intellectuels exilés. »

D'après les premières observations du prêtre qui comprenait l'échantillon visible et éclairé sous ses yeux, la façon dont était construites les taudis et la possible configuration de la ville sous une vue aérienne. Le prêtre estima qu'il devait y avoir là entre deux cents et cinq cents personne. Si ce n'était peut-être un millier de gens s'il y avait une deuxième ville dans une deuxième caverne dissimulée à ses yeux et dans les ténèbres.

« C'est ici que tu vas commencer à écouter les murmures de ton instinct. C'est en ce lieu que tu vas la rencontrer pour la première fois. Tu apprendras à la reconnaître, à lui faire confiance et à la suivre. »

« Et précisément ? Comment cela va-t-il se dérouler ? »

Le chevalier revint sur ses pas. Alexander le suivit sur une petite distance avant de recevoir l'ordre de s'arrêter. Entre Alexander et la sortie se trouvait Eric. Derrière Alexander se trouvaient les curieux de la ville du Second Cercle.

« Prends le contrôle de ce bidonville Alexander. »

« Je ne comprends pas. »


Eric le regarda longuement. Et, alors qu'il continuait à le fixer, il s'exclama haut et fort :

« Celui qui me rapporte la tête de cet homme obtiendra la réalisation, quelle qu'elle soit de son rêve. »

Sous les yeux étonnés, autant d'Alexander que des habitants du bidonville, le chevalier Eric s'en alla. Il condamna la sortie et, Alexander ressentit alors des mouvements timides dans son dos. Sans compter le fait qu'il était seul, deux fois plus bas sous terre qu'il n'y était il y a quelques jours encore. Pas d'échappatoires immédiats. Une épée. Un revolver avec une quantité de munitions amenuies. Un taux de survie qui descendait au fur et à mesure qu'il progressait dans ses réflexions.

« Poussez-vous ! Laissez-moi passer ! Dégage de là toi, putain ! »

Le prêtre abusé se retourna et fit face à un homme mesurant plus de deux mètres. Il avait une vilaine blessure au visage et un œil totalement blanc. Il ne portait qu'un pagne et une masse d'arme grotesque, barbare et rougie.

« L'autre a bien dit que si je te tuais, je pourrais partir d'ici, c'est ça ?! »

« Ouaip ! C'est ce qu'il a dit. Mais oublie pas qu'il veut sa tête. Donc évite de tout détruire comme tu as l'habitude de le faire. Ah ah ah !!! »

« Et fais en sorte que la tête lui ressemble encore un minimum. Sinon, tu auras fait tout ça pour revenir avec nous. Ah ah ah !!! »

Deux hommes se tenaient aux côtés du géant, lui prodiguant leurs conseils ironiques et hilares.

« Fermez vos gueules, vous deux ! »

Le géant s'avança et s'arrêta à environ dix mètres du prêtre. Une arène de combat s'était formé inconsciemment. Une foule qui s'était rapproché pour observer le spectacle morbide, laissant assez de place à la violence pour se mouvoir avec aisance.

Les deux adversaires se jaugeaient. Le géant avaient des difficultés à ne pas se ruer sur son ticket de sortie. Signe qu'il n'était pas totalement idiot. Alexander observait les alentours et mesuraient les risques. Il reprenait ses habitudes de prêtre chassant des aberrations dans une ville en ruine. Il évaluait chaque opportunité. Il bâtissait plusieurs plans d'action. Lorsque le géant avança d'un pas, il tira sans tarder le Pandore de son holster ce qui stoppa le mouvement du géant. La tension monta d'un nouveau cran.

« Violence ! »

« C'est chiant ! Faites quelque chose ! »

« Ah... J'ai soif de sang... Hum, je suis toute chaude et humide... »

Le géant fit un nouveau pas, prudemment. Alexander ne fit rien, le gardant en joue.

« Il ne tirera pas ! »

« Ouais ! Défonce lui sa petite gueule froide ! »

« On est trop nombreux. Il aura pas assez de cartouches pour nous tous. »'

Le prêtre et le géant continuaient à s'observer. La bataille était psychologiques. Les épuisant d'une manière qu'un spectateur ivre de violence ne pouvaient comprendre.

Une goutte coula sur le front d'Alexander. Sans plus tarder, elle allait tomber dans son œil et l'aveugler en partie. Mais il ne pouvait prendre le risque de l'essuyer. S'il le faisait, il pouvait être certain que le géant se ruerait sur lui. Ou la foule. Peut-être par derrière, « en traître ». Car il n'y a pas de coups bas ou de morts dignes. Il y a juste ceux qui survivent et ceux qui meurent.

Soudainement, il remarqua alors un mouvement. Ses yeux se plissèrent et virent quelque chose sauter de toit en toit. C'était petit. C'était brillant par moments, et ça laissait une traînée de feu dans son sillage. Alexander n'avait aucun doute : c'était la petite guide en armure armée d'un cimeterre et d'un bouclier rond. Il ne comprenait pas. Plus étonnant encore, il la vit lui faire signe de la rejoindre.

La respiration d'Alexander s’accélérait. Il pesait le pour et le contre de chaque action, calculant les réactions et les conséquences de chaque acte. Un nouveau pas du géant précipita un choix et tout alla très vite. Il stoppa la charge de son ennemi d'une cartouche explosive. Les débris d'os et d'oragnes pulvérisés sur la foule jeta un froid et beaucoup de doutes. Les gerbes et particules de sang semblaient être un manteau qui engluait les victimes en son sein. Un voile d'incompréhension et de stupeur balayait la rue. Alexander en profita pour se créer une ouverture dans les badauds. Il en poussa certains et fit tomber d'autres. L'effet de surprise allait bientôt prendre fin. Il devait retrouver la petite guide aux cheveux rouge. Un allié dans cet Enfer était plus que bienvenu.

Quelqu'un toquait contre la porte.

« Qui demande qui ? »

Eric attendait dans le couloir éclairé par deux braseros. Il y avait également deux hommes en tenue noir cuirassée. Seule une bande blanche ceinturait leur cou. Des soldats en uniforme.


« Prêtre Alexander Lang. Mission accomplie. Preuves dans les mains. Demande à voir le Chevalier Eric Roi-de-pic. »

Le demandé fit un signe de tête aux deux soldats. Ces derniers commencèrent alors à déblayer les décombres. Ils dégagèrent le passage, firent coulisser les renforts et ouvrirent finalement la porte. Se présenta alors un homme fatigué, couverts de sang. Un visage glacial et empreint de sang-froid. Des yeux énervés au-dessus de cernes violettes. Dans sa main gauche se trouvait la tignasse du géant retenant simplement une tête décapité. Dans la main droite, il y avait une espèce de couronne.

« Très bien. Tu domines donc le Deuxième Cercle de l'Enfer. Un nouveau Roi couronné dans des temps très courts. C'est très intéressant. »

Alexander n'avait pas bougé. Ses mâchoires étaient crispées. Ses yeux, s'ils en avaient eu le pouvoir, auraient tués les trois hommes se tenant devant lui. Si nonchalamment. Si tranquille...

« Remonte au Premier Cercle. Enfermes-toi dans ta cellule. Reposes-toi. Et profites d'une journée pour récupérer ou errer. Fais ce qu'il te plaira. Je reviendrais te voir dans deux jours. »

Le prêtre jeta ses trophées aux pieds des soldats et s'en alla s'en dire un mot.

Lorsqu'il s'éveilla, Alexander ne se releva pas de suite. Il y avait certes des douleurs et des courbatures, mais ce n'était pas cela qui le confinait dans une position allongée. Ses yeux fixaient un point dans le vide. Ses pensées nageaient autour. Lorsqu'il essayait de se focaliser sur une, sa main croyait l'attrapait alors que ce n'était qu'une illusion. Il était épuisé. Ce n'était pas normal. Habituellement, son organisme récupérait vite. Plus même que lorsqu'il était jeune.

« Yo, man ! Comment 'va ? »

L'homme noir, Illias, était accroupi de l'autre côté de sa cellule. Il se maintenait d'une main sur un barreau et observait les alentours.

« Il ne viendra pas aujourd'hui. »

« Sérieux ? C'est mortel, ça ! Alors, on fait quoi aujourd'hui ? »

Alexander, toujours allongé, essayait de se concentrer. L'homme derrière la grille lui demandait une destination. Il lui fallait réfléchir à ça. Se concentrer juste sur ce point.

« J'ai envie d'explorer les étages supérieurs. C'est possible ? »

« Bah ouais. C'est un peu bizarre comme idée, mais ça se fait, ouais. »

Alexander et Illias remontèrent du premier Cercle de l'Enfer pour monter au premier étage de la bâtisse. Ils passèrent donc par le rez-de-chaussée. Dans les ombres d'un couloir qui partait vers l'arrière de la bâtisse, Alexander reconnut l'homme encapuchonné qu'il avait rencontré le premier jour. Celui dont il ne connaissait pas l'identité et qui disait se nommer Erebus.


« Illias, connais-tu cet homme ? »

« Qui, man ? »

« Celui là-bas qu- »

Les ombres avaient dévorés Erebus. Il n'était plus. Les deux hommes oublièrent cet incident et reprirent leur progression vers l'étage supérieur. Ils montèrent l'escalier de pierre en angle droit et se retrouvèrent sur le palier de l'étage. Alexander tendit une oreille mais n'entendit aucuns signes d'activité.

« Dis man, qu'est-ce que tu cherches par ici ? »

« ... »

Les deux hommes marchèrent dans les différentes salles du premier étage. Il n'y avait rien d'intéressant. De la poussière, du mobilier abandonné, aucuns indices sur les personnes qui avaient vécues et/ou travaillées dans ces salles. Ils se dirigèrent alors vers le deuxième étage.

« Il n'y a rien non plus à cet étage. »

« Je te l'avais dit, man. C'est une idée bizarre de chercher quelque chose dans ce coin. »

« C'est étrange. »

« Ah bon ? »

Alexander se détourna d'Illias. Ce guide à la peau noir, ce parasite à l'énergie survoltée ne savait rien. Le prêtre explora le second étage et découvrit le même schéma qu'au premier étage : poussière, aucuns objets personnels, odeur de renfermé.

« On dirait un décor. Une mise en scène. »

« Mais de quoi tu parles là, man ? J'comprends rien à tes mots. Merde, c'est chiant ! Arrête de faire le mec mystérieux ! »

Au troisième étage, il pensa à regarder par les fenêtres. Il ne l'avait pas fait avant car il croyait qu'il était en pleine nuit. Il s'approcha d'une fenêtre et découvrit une grande étendue désertique. Il y avait la grande muraille noire infinie et son gardien pendue. Plus loin, une zone gardée par des centaines de goules. Plus loin, de la terre sèche et de la poussière irritante. Ses yeux glissèrent vers le ciel et ne découvrit que des nuages noirs.

« Je suis épuisé. Je redescends dans ma cellule pour dormir. »

« Mais ? Je- Tu ? »

Alexander se réveilla en voyant le Chevalier Eric éventrer le Zombie Illias. Il ferma les yeux et retomba sur le sol. Il attendit ce qu'il crut quelques minutes et appuya sur ses coudes pour observer à nouveau ce qui se trouvait derrière les barreaux de sa cellule. Eric était bien présent. Il était assis en tailleur, le dos bien droit contre le mur de pierre humide. Mais nulle trace de l'homme noir.

« Bonjour Alexander. Tu as récupéré ? »

Eric se releva. Alexander crut voir un sourire de satisfaction sur le visage du chevalier. Le temps que ses yeux se ferment et s'ouvrent, la marque de joie n'était plus sur le visage. Du moins, il n'y avait plus cette marque de malice. Comme un gamin après avoir commis une bêtise dont il tire de la fierté.

« Je vais considéré ton silence comme un oui alors. Suis-moi, je vais t'emmener voir ce qui survit au Troisième Cercle. »

Alexander était convaincus qu'il devrait repasser par le Second Cercle pour accéder au Troisième Ça lui paraissait une logique simple et réelle. Il en fut autrement. Eric le fit passer par un autre escalier qui descendit encore plus bas. La première partie fut similaire à l'escalier pour accéder au Second Cercle. Falaise poisseuse sur la droite. Marches sculptées dans la pierre. Abîme de ténèbres sur sa gauche. Puis, au lieu de déboucher sur une caverne, Alexander découvrit une architecture qui ne pouvait être naturelle. Cela ressemblait à un escalier en colimaçon et, dans le même temps, cela ressemblait à l'hélice double de l'ADN. C'était troublant et cela paraissait sur le point de s'effondrer à tout moment. Il descendit donc en compagnie d'Eric. Le temps paraissait ne plus avoir d'emprise en ces lieux piégés entre surface et cœur de planète. Alexander n'était pas encore arrivé au Troisième Cercle qu'il éprouvait déjà les faiblesses de son esprit. Lui qui était convaincu d'avoir marché dans les pas de son supérieur, il se retrouva sur un autre escalier. Quelques mètres de profondeur plus bas, alors qu'il croyait rejoindre le chevalier, il fut pris d'une bouffée de panique. Le chevalier n'était plus. Il s'arrêta. Il souffla. Sa tête lui tournait. Il sentait son équilibre vacillant et ses yeux se posaient sur les ténèbres sans fond qui semblaient vouloir l'éteindre et l'attirer dans des endroits plus intimes et profonds.

« Que fais-tu Alexander ? Continue de descendre. »

La voix provenait de derrière. Alexander découvrit qu'il avait pris d'avance son supérieur. Il ne l'avait pas perdu : il l'avait doublé. Rassuré, il expira avec énergie et reprit sa descente. Ils arrivèrent finalement dans une nouvelle caverne. Du même genre que celle du Second Cercle : stalactites, stalagmites, braseros et ombres dansantes.

« Ça fait toujours cet effet là quand on descend la première fois. Ah ah ! »

Une question manqua traverser les lèvres du prêtre : combien y avait-il de Cercles ? Autrement dit : jusqu'à quelle profondeur allait-il descendre dans les temps à venir ? Mais il avala sa question. Chaque frayeur en son temps.

Ils traversèrent la caverne, enchaînèrent sur un couloir, passèrent une porte et découvrirent une nouvelle caverne. Mais d'abord, Alexander découvrit l'endroit avec ses narines. Ça puait la mort et le fer forgé. Ses yeux découvrirent des corps partout. Quelques hommes en blouses blanches, maintenant plus noires et déchirées, allaient d'un corps à un autre.


« Qui sont ces hommes ? »

« Des fous qui s'imaginent être des dieux. Ils récupèrent les corps des goules décédées, les traînent jusqu'ici et les auscultent. Ils examinent leur constitution. Ils pratiquent des expériences sur les muscles. Conservent des organes dans des liquides épais. Etc. »

Alexander avança et examina quelques corps. Ses sourcils se froncèrent :

« Certaines de ces goules ont été abattus par ma main lorsque je suis arrivé le premier jour. »

« Effectivement. Et tu as fait beaucoup de dommages pour un homme seul. »

« Je ne les ai pas tous tué. Il y avait une fillette avec moi. Une guide armée d'un cimeterre. »

Alexander alla plus loin dans son exploration. Contre les murs de la pièce s'échappaient des cris venant de cages. Elles ressemblaient à celle du premier Cercle à la différence qu'il y avait deux voire trois épaisseurs de barreaux tordus. Une mesure de sécurité.

« Eric, qu'est-ce que cela signifie ? On dirait une Goule. Elle est différente, et vivante. »

« Car c'en est une. Enfin, presque. C'est le matériau de base aux Diables. Une ressource inépuisable dans ce lieu que la vie fuit. Notre aberration à nous. »

Alexander frappa d'un crochet l'homme en blouse blanche qui était venu apporter des explications. Le coup avait fracassé deux dents, noyant de petits morceaux d'émail dans un lit d'hémoglobine à l'intérieur de sa bouche.

« TOI ! Viens ici. Explique-moi pourquoi tu crées de telles horreurs ?! J'ai passé la plus grande partie de ma vie à les détruire. Je m'efforce de commettre des génocides pour notre bien-être et toi ! Toi ! Tu inventes de nouveaux Fléaux ! Tu répands le Mal ! Tu- Tu- RHAAA !!! »

Son poing atterrit dans le visage de l'homme qui ne se releva pas. Sa tête s'était empalé dans une des côtes à nue d'une Goule. Alexander était en rage. Alexander respirait bruyamment. Il y eut un concert de cris. Le prêtre enragé se retourna et découvrit ces nouvelles goules : ces Diables.

Les Diables étaient des corps de Goules : peaux nécrosés, os saillants et agressivité. Des cornes recourbées avaient été greffés sur leur crâne. Une cicatrice en forme de Y s'affichait sur leur corps, tel un signe de ralliement sanglant. Nul doute que les mains des blouses blanches étaient allées farfouiller dedans. Pour remplacer des organes ? Pour en prélever pour une collection morbide ? Pour une étude anatomique ?

Les survivants en blouses blanches s'armèrent de scie à métaux ou d'autres ustensiles pour découper os, tendons ou épidermes résistants. Ils s'approchèrent, les jambes tremblotantes. Ils s'approchèrent en déglutissant avec grande difficulté. Alexander les laissa s'approcher, dégaina son épée, se rua sur ses piètres adversaires et fit glisser sa lame sur chacun des coups. Des sourires sanglants s'ouvrirent et des corps tombèrent.

« Je crois que ce sera tout pour aujourd'hui, Alexander. Remontons. »

« Non. Je n'ai pas encore terminé. »

Il donna un coup sec d'épée dans le vide, faisant s'envoler le trop-plein de sang. Alexander élimina chacun des Diables, Goules ou scientifiques qui respiraient encore. Du sang, du fiel et des matières fécales jonchèrent le sol dans son sillage.

Durant le cinquième jour, Illias fit une requête à Alexander. Il lui demanda de passer la journée à l'entraîner au maniement des armes. Les tiges métalliques qui l'avait réveillé lors du troisième jour n'étaient pas des morceaux de barreaux tordus de cellule. C'était en fait une arme de fer forgé, aux formes extravagantes. Presque ridicule.

« D'où viens ce truc ? »

« D’Afrique. Enfin, non. C'est le forgeron d'ici qui me la construite selon mes idées. »

« Il n'y a pas d'Afrique. C'est un continent abandonné depuis longtemps, victime de la Grande Peste Noire et Rouge. »

« C'est faux, j'en viens, man ! »


Alexander n'avait pas la tête a parler de chimères et de continents utopiques. Son esprit était encore obnubilé par les événements de la veille. Sa colère était encore féroce. Il ne comprenait pas comment des hommes pouvaient créer des cauchemars vivants et de chairs. Ces hommes étaient forcément malades. Dans ce cas, cela voulait dire que l'Enfer avait une fonction supplémentaire : hôpital psychiatrique. Ou asile, peut-être.

« J'accepte de t'entraîner à trois conditions. Un : tu deviens mon informateur. Deux : je t'entraîne pour te donner une fierté et arrêter de profiter de la force des autres. »

« Et la troisième condition, man ? »

« Elle viendra plus tard. »

Les deux hommes s'entraînèrent donc tout le jour. Ils ne revinrent ni sur le sujet de l'Afrique, ni sur la troisième condition d'Alexander.

Au sixième jour, Alexander resta dans sa cellule. Un mal inexplicable le clouait au lit. Il délirait dans son sommeil. Sa peau était recouverte de suée tandis qu'elle n'avait jamais été aussi blanche. Illias, de sa position de spectateur impuissant de l'autre côté des barreaux, avait l'impression qu'Alexander subissait les affres du froid et de la chaleur dans le même temps.